Le projet de loi dit “séparatisme”, dont l’intitulé est désormais « confortant les principes de la République » a été adopté à l’Assemblée nationale mardi 17 février. Il sera examiné au Sénat à partir du 30 mars. Sous couvert de lutter contre le soi-disant “séparatisme”, ce projet détricote des lois fondamentales sur les libertés telles que celle de 1881 sur la liberté de la presse, celle de 1882 sur l’instruction primaire obligatoire, celle de 1905 sur la séparation des Églises et de l’Etat et celle de 1907 sur l’exercice public des cultes.
Ce projet de loi fait partie d’une série de textes liberticides, en particulier le projet de loi “sécurité globale’’, le nouveau Schéma national du maintien de l’ordre (SNMO) et les décrets de fichage publiés en décembre 2020.
Lors de son audition devant la commission de l’Assemblée nationale, Claire Hédon, défenseure des Droits, a souligné que ce texte a un caractère uniquement répressif disproportionné et n’apporte ni solution globale ni aucune disposition sur les questions de mixité sociale et de lutte contre les relégations et les discriminations. La CNCDH elle-même “alerte les pouvoirs publics sur les atteintes aux libertés fondamentales que porte le projet de loi en l’état.”
De plus, ce projet de loi cible une partie de la population, ce qui remet en cause la question de l’égalité des droits. Elle a aussi des conséquences bien plus larges avec de nouveaux interdits, de nouveaux contrôles, de nouvelles sanctions pour l’ensemble de la population. C’est bien la question de la restriction des libertés et du renforcement du contrôle de la société dans son ensemble qui sont à l’ordre du jour.
EGALITÉ DES DROITS ET LUTTE CONTRE LE RACISME
Ce projet s’inscrit dans un contexte où les idées d’extrême droite fleurissent et s’exposent de manière décomplexées et véhiculent un racisme visant en particulier les personnes de confession musulman-es ou considérées comme telles. Nous sommes inquiet-es de la portée de ce texte qui nous semble dangereux pour toutes celles et ceux qui seraient pointé-es comme allant à l’encontre des “principes de la République” selon des critères vagues et pouvant donner lieu à une grande interprétation, et pour le monde que nous voulons construire.
LIBERTÉ D’ASSOCIATION ET SYNDICALE
Ce texte cible, et sans s’en cacher, les libertés associatives de la loi 1901 et donc les associations. L’État n’a cessé ces dernières années de porter atteinte à ce secteur (remplacement des subventions de fonctionnement par des appels à projets, suppression des dispositifs d’emplois aidés et remplacement par des volontaires en service civique, etc). Par ricochet, ce sont donc encore une fois les emplois et les conditions de travail qui sont attaqués.
Ainsi, plusieurs articles de loi sont particulièrement problématiques, ils portent sur :
Le rôle et la responsabilité des associations
Les associations recevant des subventions publiques s’engagent déjà à respecter des principes définis dans la charte des engagements réciproques (créée en 2014). La mise en place d’un Contrat d’engagement républicain impose une mission de "sauvegarde de l’ordre public". Nous considérons que cela ne rentre pas dans le rôle des associations quelle qu’en soit la définition.
Nous ne pouvons accepter la vision du gouvernement d’un monde associatif porteur de la parole de l’Etat et non pas comme un acteur du débat démocratique et potentiel contre-pouvoir.
Impact sur le financement, l’agrément des associations :
Les subventions sont conditionnées à la signature d’un Contrat d’engagement républicain dont les contours sont encore peu définis. Le risque de refus de subventions voire des demandes de remboursement a posteriori pourrait augmenter, en particulier pour les associations qui portent un projet considéré comme “politique” qui déplairait aux pouvoirs publics.
De plus, cette loi renforce la possibilité de contrôle des associations recourant à la défiscalisation des dons sur des critères qui ne sont pas encore définis.
C’est aussi l’agrément des associations qui ouvre notamment droit à certaines possibilités juridiques qui serait également remis en cause de manière arbitraire, au motif de non respect des éléments figurant dans ce nouveau contrat d’engagement.
La dissolution d’association :
L’article 8 prévoit la possibilité de dissoudre une association pour les agissements individuels d’un de ses membres. Cela remet en cause la liberté d’expression individuelle, notamment celle des salarié-es, et le fonctionnement démocratique d’une association qui repose sur des prises de paroles collectives.
Cette loi va impacter les emplois et les conditions de travail des travailleur-ses du secteur associatif. En fragilisant l’obtention des financements publics, elle va accroître la précarité des emplois (risque de recours accru aux CDD, stagiaires et volontaires en service civique, licenciements économiques, ...). Elle ajoute une charge mentale voire une charge de travail sur les équipes qui ont de nouvelles contraintes dans la mise en œuvre de leurs missions. La menace de dissolution liée à une prise de parole d’un membre peut impacter les salarié-es dans leurs prises de paroles liées à leur activité salariale mais aussi dans leurs activités privées.
Les syndicats sont bien entendu visés par toutes ces mesures même s’ils ne sont pas sous statut de la loi de 1901 régissant les associations, mais de la loi de 1884. Lors des débats parlementaires, un sénateur a d’ailleurs pointé le syndicat Sud Education 93 dans ses propos visant à l’élargissement de la loi pour obtenir son interdiction.
Par ailleurs, des instituts de recherche et des instituts de formations, qui ont un rôle important dans l’activité syndicale, sont régis par la loi sur les associations.
DROITS DES FEMMES
L’article 14 prévoit l’extension de la “réserve de la polygamie” à l’ensemble des titres de séjour. Comme après la loi de 1993, cette mesure prise sans exception pourrait avoir des conséquences désastreuses pour certaines familles. En effet, des familles, et en particulier des femmes pourraient perdre leur titre de séjour, malgré de nombreuses années de vie en France avec leurs enfants en conséquence de la perte de titre de séjour de leur mari pour polygamie. De plus, la question du lien avec les enfants est complètement évacuée, alors qu’une jurisprudence constante de la Cour de cassation devrait conduire à prioriser l’intérêt de l’enfant. Qu’est-il prévu pour lui en cas de retrait du titre de séjour des parents ? Enfin, l’utilité de la loi peut être questionnée puisque le Ministère de l’Intérieur a lui-même admis que le phénomène de la polygamie n’était pas mesuré. On vient donc afficher un phénomène culturel minoritaire et pour lequel il existe déjà des sanctions en cas de fraude aux prestations sociales. Sous le prétexte de protéger les femmes, cette mesure, en l’état, entraînerait ainsi une perte de titre de séjour mais aussi de nombreux droits sociaux et mettrait en situation de précarité du jour au lendemain des familles entières.
De nombreuses femmes bénéficiaires de pensions de réversion de leur conjoint en perdraient aussi le bénéfice et se retrouveraient sans aucun moyen de subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs enfants.
L’article 16 prévoit des sanctions à l’encontre de médecins qui délivreraient des certificats de virginité. Comme l’a écrit l’Association nationale des centres d’IVG et de contraception (Ancic), « La demande de rédaction de ces certificats pose en effet de réelles et graves questions, mais en aucun cas l’abord répressif vis-à-vis du corps médical ne constitue une réponse ».
En effet, une fois de plus, ce sont les effets d’une telle mesure qu’il faut prendre en compte : ce sont des femmes qui sont mises en danger en refusant de leur remettre un tel document. Dans une tribune, des gynécologues citent le serment d’Hyppocrate « Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination selon leur état ou leurs convictions. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité ». Et poursuivent : “ Alors oui, on peut être amené à fournir un certificat à une jeune femme si elle a besoin d’un papier disant qu’elle est vierge pour qu’on arrête de la harceler, pour lui sauver la vie, pour la protéger car elle est affaiblie, vulnérable ou menacée dans son intégrité ou sa dignité. (...) Dès lors, délivrer ce certificat, ce n’est pas faire le jeu des intégristes qui l’exigent, bien au contraire. Ce qui devrait choquer l’opinion publique, ce n’est pas que le médecin rédige un tel certificat sans aucune valeur juridique, c’est qu’en 2020 l’exigence de virginité soit encore si répandue.”
De nouveau, plutôt que de poursuivre cette politique répressive, il est plus que nécessaire de mettre réellement en œuvre, avec les moyens nécessaires, l’éducation à la sexualité et pour l’égalité qui est prévue dans le code de l’éducation. C’est avant tout dans la lutte pour l’égalité des droits, notamment des femmes, que cesseront les pratiques discriminatoires.
Un député avait aussi proposé un amendement pour interdire l’écriture inclusive. Bien qu’il n’ait pas été retenu dans la version votée à l’assemblée nationale le 23 février, il est tout à fait probable que cette proposition ressurgisse au Sénat. Rappelons que l’écriture inclusive est une écriture qui n’invisibilise pas les femmes et permet de prendre en compte véritablement tout le monde.
LIBERTÉ D’INFORMATION
L’article 18 : " Le fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer, elle ou les membres de sa famille, à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer… " n’est qu’une reprise de l’article 24 de la proposition de loi " sécurité globale ". Outre qu’il porte atteinte à la liberté d’informer et d’expression, ce texte crée en plus une infraction d’intention, particulièrement incertaine sur le plan juridique et donc d’autant plus dangereuse. Comme si tout se valait, il met par ailleurs sur un même plan les atteintes supposées aux personnes et aux biens, ce qui promet des dérives tout aussi dangereuses !
Ici se repose donc la même question : qu’en sera t-il des personnes qui documentent les violences policières ?
L’article 19 vise quant à lui à faire disparaître le contenu interdit d’un site internet et qui se retrouverait sur un autre site : il s’agit alors de demander à une autorité "administrative" (et non pas le juge judiciaire, pourtant garant des libertés) de faire procéder à la censure du contenu de ce dernier site. Soit le retour à la loi Avia contre la haine en ligne pourtant très largement censurée par le conseil constitutionnel en 2020.
CONCLUSION
Pour résumer les dispositions du projet restreignent considérablement de nombreuses libertés sans souci d’équilibre ni de proportionnalité, et sans que l’on puisse en attendre une quelconque efficacité par rapport aux dispositifs existants. Le projet contient une série de mesures inutiles, incantatoires, voire dangereuses, qui remettent en cause des principes fondamentaux : la liberté d’association, la liberté de conscience et de culte, la liberté de réunion, la liberté d’expression, d’opinion et de communication, la liberté de la presse, la liberté de l’enseignement, la liberté du mariage ou encore la liberté contractuelle.
Face à ce projet de loi, l’union syndicale Solidaires :
Condamne le caractère raciste de ce projet de loi, la défiance affichée envers les croyances religieuses en général et envers les personnes de confession musulmane ou considérées commes telles en particulier, suspectées par principe de verser dans la complicité d’actes violents, est intolérable.
Considère que l’Etat dévoie le principe de laïcité en l’utilisant comme un instrument de lutte contre une religion plutôt que comme un outil de cohabitation des cultes et des croyances.
Estime que le manque de définition de ces valeurs et le flou entretenu encouragent une interprétation uniquement sécuritaire, profondément attentatoire aux libertés publiques et au débat démocratique.
Considère que ce texte ne répond pas aux attentes concernant la liberté, l’égalité, la fraternité, l’éducation et la laïcité, mises en avant comme valeurs de la République dans ce projet de loi, puisqu’il ne donne aucun moyens de travailler à éliminer les inégalités à la base (moyens sur les territoires défavorisés, aux services publics..) qui font le terreau du radicalisme de tout bord.
Dénonce son caractère exclusivement répressif.
Ils sont sécuritaires
Ils sont autoritaires
Nous sommes solidaires