Monsieur le Ministre de l’intérieur,
L’Union syndicale Solidaires est partie prenante de la mobilisation contre la « loi travail », aux côtés notamment des autres organisations syndicales. Dans les entreprises, les services, dans les territoires, nos équipes syndicales organisent et participent à différentes initiatives qui prennent des formes diverses et variées dont des grèves, manifestations et rassemblements.
Depuis le début du mouvement contre « la loi travail », le comportement d’une partie des forces de l’ordre est inadmissible. Il n’est plus seulement question de « bavures » qui seraient isolées et relèveraient d’une dérive de quelques fonctionnaires mais bel et bien de violences policières répétées et se déroulant dans plusieurs villes. Les exemples sont nombreux, mais en voici quelques-uns qui nous paraissent particulièrement scandaleux :
• A Rennes, à titre d’exemple des nombreuses exactions commises dans cette ville, un militant de notre union syndicale a été violenté physiquement à la suite d’une charge de CRS, rue Jean Jaurès à Rennes le Jeudi 31 Mars 2016 vers 14h00. La charge des policiers a été filmée. On y voit notre camarade se faire violenter gratuitement par les CRS alors qu’il se trouve au sol. Il était identifiable comme militant syndical puisqu’il tenait un drapeau SUD Santé Sociaux. Dans cette ville, à de nombreuses reprises ces dernières semaines, des manifestant-es ont été blessé-es avec des ITT allant parfois jusqu’à plus de 90 jours.
• A Paris, au cours de la journée d’action du 4 avril plus d’une centaine de lycéen-nes et étudiant-es ont été interpellé-es, avec assauts, gazages et tabassages en règle. De la même manière, le 14 avril, la manifestation de Stalingrad à République a fait l’objet d’un traitement particulièrement agressif de la part des forces de l’ordre pour finir par le lancer d’une quantité phénoménale de gaz lacrymogènes une fois arrivé aux abords de la place. A de nombreuses reprises, nos équipes syndicales ont dû porter secours à des manifestant-es blessé-es par les forces de police.
• A Grenoble, le 31 mars un rassemblement était prévu et autorisé à l’anneau de vitesse à la suite de la manifestation. Celui-ci a été interdit au dernier moment et sévèrement réprimé par les forces de l’ordre avec de nombreux épisodes de violences policières.
• Ces situations se sont reproduites et multipliées tout au long du mois de mars et début avril dans d’autres villes comme Nantes, Caen, Lyon, Valenciennes, Marseille, Montpellier, Toulouse, Rouen, etc…
Ces exemples montrent qu’Il ne s’agit donc pas de situations individuelles -qu’il conviendrait aussi de régler via l’IPGN, mais d’une situation globale sur les consignes données aux forces de l’ordre. Lors des manifestations syndicales, les cortèges sont coupés violemment et sans aucune raison par les forces de l’ordre, n’hésitant pas à s’en prendre physiquement à nos services d’ordre. Plusieurs interventions de policiers en civils ont eu lieu en utilisant des autocollants syndicaux et sans brassards police, en utilisant des moyens disproportionnés que nous condamnons fermement. Ces agissements, répétés, qui se sont produits dans de nombreuses villes, sont de votre responsabilité.
L’intersyndicale parisienne a d’ailleurs écrit à la Préfecture de Police (DPOC) en date du 11 avril pour solliciter une audience et revenir sur les problèmes récurrents des encadrements de manifestations par les forces de l’ordre en rappelant notamment « que nous ne pouvons accepter de tels comportements violents des forces de l’ordre, en charge de veiller au bon déroulement des manifestations ». Ce courrier CGT-FO-FSU-Solidaires-UNEF est assez rare pour y noter un vrai climat de répression et de criminalisation de l’activité syndicale ainsi que du droit à manifester. De nombreuses associations, personnalités, partis politiques, collectifs et syndicats ont à travers une pétition intitulée « Un pouvoir qui matraque la jeunesse est faible et méprisable », ont condamné les nombreuses violences à l’égard des lycéens et étudiants.
De nombreuses vidéos, photos et témoignages de manifestants font état de blessures graves, d’interpellations violentes, d’insultes, de gestes visant à humilier, de menaces, d’arrestations arbitraires, d’atteintes à la liberté de rassemblement. La situation ne fait que s’aggraver manifestations après manifestations. Ces agissements méthodiques aboutissent à une remise en cause des droits les plus fondamentaux, comme celui de manifester.
Nous serons très vigilants sur votre réponse.
Dans l’attente, recevez Monsieur le ministre, nos salutations syndicales.
Pour l’Union syndicale Solidaires
Cécile Gondard-Lalanne et Eric Beynel, co-délégué-és généraux
Un collectif composé de plus de trois cents universitaires, artistes, militants associatifs, lance un appel pour dénoncer violences et dérives policières qui se généralisent depuis l’instauration de l’état d’urgence.
Depuis novembre dernier et la proclamation de l’état d’urgence, l’État de la régression sociale et de la matraque a brutalement accéléré sa décomposition. Sa soumission à un capital piaffant d’impatience de pouvoir exploiter et jeter n’importe qui, quand et comme ça lui chante, est radicalement décomplexée. Le nombre de celles et ceux qui, se battant sans courber l’échine pour leur dignité, leur avenir, ou tout simplement leur quotidien, peuvent être traînés devant les tribunaux, traités comme des terroristes et, à l’image des Goodyear, condamnés à de la prison ferme, ne cesse de croître. Au même rythme ont progressé les violences policières les plus méthodiques.
La jeunesse étudiante et lycéenne en fait les frais depuis plusieurs semaines, à un niveau de répression proprement insoutenable. Les 300 et quelques arrestations lors de la manifestation du 29 novembre à Place de la République, à Paris, contre la COP21 étaient bien un avant-goût. Depuis le 17 mars et l’expulsion violente d’un groupe d’étudiant-e-s de l’université de Tolbiac, chaque journée de mobilisation des jeunes occasionne un crescendo dans les gazages, les matraquages et les interpellations. Quelle honteuse hypocrisie quand Bernard Cazeneuve se dit « choqué » de la violence par laquelle un jeune de 15 ans, du lycée Bergson à Paris, avait été le 24 mars tabassé par trois policiers surarmés.
Une mécanique indigne
Le 5 avril, ce sont encore plus de 130 lycéen-ne-s, gazé-e-s et matraqué-e-s par des CRS et policiers en civil, qui ont été interpellé-e-s avant même d’arriver à la manifestation prévue à Bastille l’après-midi. Quant à ce 14 avril, le nombre de casques, de tonfas, de gazeuses et de boucliers destinés à enfermer le cortège parisien pourtant pacifique était tellement important, un drone couvrant carrément la zone, que des passants ont demandé si c’était… une manifestation de policiers. La liste est longue, et le procédé n’est pas seulement parisien. Nantes, Rennes, Lyon, Strasbourg, Montpellier, Rouen, Caen, Grenoble, Toulouse etc., l’ont également subi. Et, bien sûr, les grévistes de Mayotte.
Combien de crânes ouverts et autres blessures graves, d’hospitalisations comme de points de suture, de tirs de flashballs, d’insultes, de menaces, d’arrestations jusque devant les lycées, de gardes à vue et de procès, avant que nous ne cessions de tolérer cela ? Combien de Malik Oussekine, combien de Rémi Fraisse, finiront-ils par s’autoriser, combien d’Amine Bentounsi, de Zyed Benna, de Bouna Traoré et de violences policières quotidiennes dans les quartiers populaires surviendront encore, si nous ne mettons pas un terme à cette mécanique aussi sinistre qu’indigne ?
Une telle violence exprime bel et bien l’infini mépris à l’égard de ces jeunes que François Hollande avait prétendu mettre au cœur de son mandat. C’est ce pouvoir qui matraque la jeunesse qui est aussi faible et apeuré que méprisable. Il tremble devant elle, car sa radicalité n’est pas contrôlable. Il sait que la colère et la solidarité des jeunes contre ce qui n’offre que désespoir, misère et régression, grandissent. Il n’a pas oublié l’influence déterminante qu’elles et ils peuvent avoir sur l’ensemble des travailleur-se-s. La façon incroyablement violente dont les CRS ont « accueilli » les étudiant-e-s venus rencontrer les cheminots à la gare Saint Lazare mardi 12 avril, et arrêté arbitrairement l’un d’entre eux, illustre avec éloquence sa hantise à l’égard de toute jonction des étudiant-e-s et des salarié-e-s.
Alors que des politiciens, jusque dans les rangs du PS, veulent aller jusqu’à dissoudre « Nuit Debout ! », le gouvernement, profitant de l’ambiance entretenue par un blackout aussi complet que complice de la part des grands médias, lâche ainsi quelques miettes d’un côté tout en laissant, de l’autre, se succéder des journées saute-moutons qui, à elles seules, l’impressionnent peu. En tout cas bien moins que cette jeunesse déterminée qu’il cherche, à l’orée des vacances scolaires, à briser par la force.
Laisser la matraque impunie, c’est porter aussi une immense responsabilité. La condamnation de cette violence récurrente devrait être sans appel ; or, on est encore bien en-deçà du nécessaire à l’échelle nationale. Les prises de position locales, lorsqu’elles existent, de partis, syndicats, associations en tout genre, ou encore au sein de corporations comme les enseignants et universitaires, restent largement insuffisantes à ce jour pour briser l’omerta. Il n’y a rien à relativiser ni à nuancer. Il est grand temps de se déshabituer de ce qui n’a aucune justification possible, sinon l’arbitraire des princes de l’État policier et du CAC40. Il est grand temps qu’avec les étudiant-e-s, les lycéen-ne-s, les travailleur-se-s qui se battent non seulement contre un projet de loi inique, mais de plus en plus aussi pour une vie qui ne soit pas une simple survie, nous fassions masse pour y mettre fin.
Plus de 300 personnes, universitaires, artistes, éditeurs, syndicalistes, militant-e-s associatifs, professionnel-le-s de santé, etc., ont d’ores et déjà signé cet appel.
Pour accéder à l’ensemble des signataires ou soutenir cet appel